Nicolas Rettmann :
L'importance du sport dans la vie des personnes sourdes
Bonsoir à toutes et à tous. Bonsoir aux amis sourds et
aux amis entendants.
Je suis secrétaire de la Ligue Sportive Francophone des Sourds
depuis quelques années déjà. Le Comité de
la Maison des Sourds m’a invité à venir faire cette
conférence devant vous et cela m’a fait plaisir.
Je vais donc aborder, ce soir, le thème de l’importance
du sport et l’épanouissement qu’il procure.
J’aime et je pratique le sport depuis ma jeunesse…Je le
regardais beaucoup à la télévision.
Lorsque j’ai intégré la communauté des Sourds,
j’ai continué à pratiquer une activité sportive
intense. Par la suite je suis devenu secrétaire.
Alors ? Pourquoi le thème du sport ? Vous savez tous, sans doute,
que pour les Entendants, le sport est synonyme de bien-être.
Les contacts, les rencontres, l’interculturel, l’intégration,
le mélange et les échanges que cela permet. Tout cela
est valable chez les Entendants ; Mais pourquoi « l’importance
du sport pour les Sourds ? » Ce thème m’a fait réfléchir.
Comment l’aborder ? On parle beaucoup des résultats sportifs,
des coupes, des prix, des compétitions mais ce n’est pas
le plus important !
Il y autre chose, il faut parler de la culture du sport, rechercher
cet aspect là, faire le lien avec son histoire et voir quelle
importance revêt le sport pour un Sourd.
Revenons à l’origine du sport. C’était, au
départ, un loisir qui permettait, une fois le travail terminé,
de se détendre.
Vers 1880-1890, cette discipline commence à prendre de l’essor
: le sport est né !
Les premiers sports sont l’aviron, le patinage, la boxe et le
tennis.
C’est vrai, qu’aujourd’hui, la liste est longue mais
à l’époque, il y en avait peu.
Abordons, parallèlement à cela, le domaine scolaire.
Vous connaissez tous l’histoire du Congrès de Milan et
ses conséquences ? Je ne vais pas revenir là-dessus. Voyons
plutôt son rapport avec le sport. A ce Congrès, donc, on
décide d’interdire l’usage de la Langue des signes
au profit de l’oralisme.
Alors qu’avant c’étaient des Sourds qui enseignaient
aux Sourds, après le Congrès, les Entendants ont remplacé,
petit à petit, les Sourds et ont, de ce fait, pris le pouvoir.
Pour ce qui était du sport à l’école, les
Sourds participaient à des compétitions avec les Entendants
et suite à quelques incidents (bousculades, coudées…)
il a été décrété que les Sourds étaient,
soi-disant, trop dangereux, violents pour continuer à participer
aux compétitions et courses de vélo (où il y avait
de nombreux accidents et blessures).
C’est ainsi que les Sourds se sont retirés, petit à
petit, des organisations des Entendants.
Avez-vous déjà vu les anciennes cartes postales où
l’on représentait des sportifs (gymnastes…). En les
observant, on est frappé par les différences entre le
sport d’hier et d’aujourd’hui.
Celui d’hier faisait plutôt penser à une discipline
militaire !
Toujours en rapport avec le Congrès de Milan, on voulait que
les Sourds s’assimilent aux Entendants, dans le paraître
en tous cas. Un exemple : avec cette photo, de l’école
de Woluwé, on y voit des athlètes disciplinés mais
on ne ressent pas beaucoup de plaisir en les observant ! C’était
très militaire, très stricte. Là, c’est chez
les garçons :
Voyons chez les filles…
En voyant ces photos, je n’ai pas compris pourquoi les filles
faisaient des altères ? Observez-les ! Pas une ne sourit, elles
sont très sages, ont presque l’air punies ! C’était
vraiment militaire.
Quand on parle des premiers sports : gym, natation, en fait (je parle
d’éléments historiques) on préconisait l’eau
ou l’exercice pour soigner les maladies. Donc quand, à
l’école, on proposait du sport c’était pour
« soigner » les Sourds. Pas pour les vertus bienfaisantes,
le bien-être mais plutôt par mécanisme curatif !
La natation permet le développement des capacités respiratoires,
ce qui aiderait les Sourds à parler ! Et, peut-être aussi,
l’eau aiderait-elle à « nettoyer » les oreilles
des Sourds !
Sur cette autre photo, que voit-on ? Une représentation (de
Paris) de l’institut St-Jacques, institution créée
par l’Abbé de l’Epée. Il y avait donc une
piscine à l’usage des Sourds. Remarquez le censeur et sa
mine sévère, qui est là pour surveiller !
Remarquez sur cette image des répétiteurs d’élèves
qui montrent des exercices de respiration… Y figurent aussi, le
directeur et le gestionnaire de l’école…
Alors, en observant ce cliché, je vous le demande, où
est le maître-nageur ? Le plaisir ? L’épanouissement
? Il est totalement absent, oublié, nié !
Alors ? Que font les Sourds pour se regrouper, se retrouver ? Ils commencent
à fonder des foyers. Les foyers se multiplient, on y fait beaucoup
de sport, on crée des associations, des clubs.
Il y a cent ans, il y avait un club dans 4 grandes villes : Liège,
Bruxelles, Anvers et Gand (ce sont les plus anciens). Maintenant il
y en a à peu près dans chaque ville.
Les groupes et les associations collaborent, en 1922, on voit naître
la Fédération Royale Sportive des Sourds de Belgique (F.R.S.S.B.).
Parallèlement, de nombreuses fédérations se développent
à l’Etranger, de nombreux échanges en découlent.
C’est en 1924 que la fédération internationale (C.I.S.S.=
Comité International Sportif des Sourds) est fondée.
Sur cette photo, les personnages que l’on voit sont des Sourds
: Emile Cornet (Fondateur de la Fédération belge et président
du club de Liège) ainsi que Antoine Dresse, tous deux Belges.
La troisième personne est un Sourd Français, Eugène
Rubens-Alcais qui a fondé la fédération internationale
en collaboration avec Antoine Dresse.
J’en profite pour rendre hommage aux deux fondateurs liégeois.
C’est en 1920 que le sport prend de plus en plus de place.
En ce qui concerne les loisirs, les associations étaient très
dynamiques et proposaient des compétitions, des fêtes,
des conférences, des banquets (un peu comme aujourd’hui)
et il y avait de nombreux échanges. Des artistes pouvaient aussi
exposer leurs œuvres lors de compétitions ce qui leur permettaient
de se faire connaître tout en soutenant le sport
Voyons, en parallèle, l’évolution de l’enseignement.
En 1920, les effets du Congrès de Milan se faisaient encore sentir.
Et essayait d’évincer les Sourds au profit des Entendants
et on promouvait l’oralisme.
Voici encore une photo, pour exemple des implications du Congrès
de Milan, où l’on voit des exercices d’articulation
– lecture labiale-.
L’école, où l’on préconise l’oralisme,
n’est pas un lieu d’épanouissement et de bien-être
donc, où trouver, pour les Sourds, ces bienfaits ? Dans le sport
évidemment !
Dans les rencontres sportives, plus d’interdits, d’oralisme
etc. Des rencontres où tous signent et se comprennent bien !
En 1924, on crée les jeux olympiques pour Sourds à Paris
(ils existaient depuis 1894 pour les Entendants).
Et cela a continué jusqu’à aujourd’hui (l’hiver
prochain à Salt Lake City aux U.S.A. et à Taipeï
à Taïwan en 2009).
Donc, pour résumer, il y a d’abord eu les J.O. ordinaires
(Entendants), puis ceux des Sourds (Deaflympics) et ensuite, en 1960,
ceux des handicapés.
Les J.O. à Bruxelles se passaient en 1953. Je suis sûr
que certains, dans la salle y étaient ? (plusieurs doigts se
lèvent).
1970 : du côté sportif, toujours plus d’essor international
et toujours plus de rencontres et d’échanges
Et du côté scolaire ? Qui gère les écoles
? Ce sont les frères et les sœurs de la Charité (à
Woluwé par ex.) qui enseignent à parler aux enfants sourds.
Heureusement, eux, ne brimaient pas les Sourds en voulant les faire
parler à tout prix et ils ont ainsi permis l’émergence
de la Langue des Signes.
Evidemment, en les observant, ces personnes pensaient que les Sourds
n’étaient pas faits pour l’Université et qu’il
valait mieux les orienter vers les travaux manuels comme la couture
ou l’imprimerie.
Heureusement, aujourd’hui il y a plus d’ouverture, les métiers
de l’informatique se développent.
Pour l’enseignement, par les sœurs notamment, lorsqu’arrive
leur pension, il n’y a personne pour prendre la relève
et ce sont de nouveaux professeurs, ne connaissant pas la Langue des
Signes qui arrivent.
Donc, pour résumer cette période : un grand développement
du sport et de la Langue des Signes. Tout se passe mieux.
Du côté médical, les progrès n’ont
pas été importants et nous en étions restés
à des méthodes anciennes. Malheureusement, la médecine
fait un retour en force.
Il y a tout de même les appareils auditifs, pour lesquels on continue
la recherche et les progrès.
1980 : en ce qui concerne le sport, tout se passe bien. Mais dans l’enseignement
? On parle, on ne signe pas !!!
Sur le plan médical, on fait des recherches, on essaye de soigner
le Sourd, on voudrait qu’il devienne Entendant, qu’il fasse
des progrès.
On regarde le Sourd comme un objet que l’on doit réparer.
Le malheur dans l’histoire, c’est que les Sourds se sentent
bien dans le sport et s’y débrouillent bien, ce qui fait
penser aux Entendants qu’il est préférable qu’ils
restent « à part ».
Quelles sont les conséquences de tout cela ?
L’enseignement oraliste diminue mais ça n’a pas donné
le résultat souhaité.
Le niveau de l’enseignement baisse.
Lorsque les parents constatent que le niveau baisse, ils s’inquiètent
pour le devenir de leur enfant et perçoivent l’intégration
en milieu scolaire ordinaire comme LA solution !
Que peut-on remarquer depuis 10 ou 20 ans ? La priorité est
mise sur l’économie, le rendement et on n’a plus
le temps de s’occuper de l’enseignement des Sourds.
Quelques exemples dans les écoles, voici des photos montrant
des enfants apprenant avec un casque sur la tête. Détails
frappant, ils ont les bras croisés, un peu comme s’ils
avaient les bras dans le dos.
Ils ne peuvent pas lever la main sous peine de punition.
Un autre exemple, voici le premier timbre poste représentant
un Sourd, on y voit une personne qui fait signe, avec ses oreilles,
qu’elle n’entend pas.
On demande à un Sourd d’entendre un papillon, je ne sais
pas ce que vous en pensez mais personnellement, je n’aime pas
beaucoup.
Abordons à présent les Sourds et l’intégration.
Beaucoup de Sourds veulent, en plus d’un club pour Sourds, s’affilier
aussi dans un club pour Entendants afin d’améliorer leurs
performances.
On assiste même, de plus en plus, à des croisements entre
des Sourds d’école de Sourds qui vont chez les Entendants
et des Sourds intégrés qui vont chez les Sourds !
Ce qui leur permet des doubles affiliations.
On peut donc dire ceci : les Sourds font du sport pour le plaisir et
pour communiquer en Langue des Signes.
Lorsqu’ils rencontrent des Entendants, la communication se fait-elle
à un même niveau ? Comment cela se passe-t-il ? Ce qui
est sûr c’est que la double affiliation permet de progresser.
On a beaucoup évoqué le sport comme activité,
mais il faut aussi parler de la gestion de ces structures sportives.
Et pour l’aspect plus administratif, les Sourds prennent la gestion
en charge comme président, secrétaire, commissaire et
moniteurs de sports qui. Et entre les joueurs et les dirigeants la communication
s’exerce donc souplement !
Et quand les jeunes observent ça, ils peuvent se projeter en
tant qu’adulte sourd.
Lorsque l’on n’a plus les capacités physiques requises
pour continuer à faire du sport, on peut très bien devenir
dirigeant et rester, ainsi, actif. Il s’agit d’une transmission
d’identité culturelle grâce au sport.
Que peut-on constater, aujourd’hui, en 2006 ?
Sur le plan médical, le commerce continue, il est de plus en
plus puissant et jouit du soutien politique (subventions).
Sur le plan sportif, c’est toujours aussi agréable !
Sur le plan de l’enseignement, on parle de plus en plus d’intégration.
Les Sourds doivent être repris avec d’autres personnes handicapées.
Bien sûr, les Entendants le constate, veulent dissoudre la Fédération
des Sourds et intégrer les membres au sein de leurs fédérations
pour handicapés.
A cause de l’intégration massive, les Entendants finissent
par imaginer que les Sourds deviendront comme eux et entendront ! Cela
met en péril l’identité des Sourds qui est niée.
Comme vous le savez, on parle de plus en plus d’implant, du dépistage
précoce.
Pour ce qui est de la Fédération, elle existe depuis
longtemps, côté belge et est scindée en parties
francophone et néerlandophone depuis 1978 et n’est plus
reconnue depuis 2001.
Les Sourds sont donc obligés de se regrouper avec d’autres
personnes handicapées. Puisqu’ils ne communiquent pas de
la même façon, ce sont les Sourds qui sont obligés
de prendre des interprètes. Et de quoi discute-t-on dans ces
réunions, de problèmes de mobilité et de choses
qui concernent, finalement, assez peu les Sourds, qui sont d’un
autre ordre. Ces réunions ont, donc, peu d’intérêt
pour eux.
Il est indispensable que les Sourds administrent eux-mêmes leur
fédération sportive.
Quand on fait un retour en arrière, au congrès de Milan,
c’est semblable, puisque les Sourds ne trouvent pas de reconnaissance
au sein d’un groupe hétérogène, ils devront
créer un lieu de rencontre pour eux !
Lorsque nous organisons des réunions avec des ministres, que
nous constituons des dossiers, demandons des soutiens, nous ne sommes
pas pris en considération et les demandes restent lettre morte.
Parlons, maintenant, de l’avenir si vous le voulez bien ?
Si l’on ne fait rien, comme l’a dit Yvette Thoua, en 2025,
les Sourds vont disparaître !
Alors ? Comment sauver la Communauté sourde ?
Devrons-nous cloner les Sourds pour éviter leur disparition ?
Qu’en pensez-vous ? Peut-on, doit-on cloner les Sourds ?
Ce que l’on peut constater de positif, en tous cas, c’est
que grâce au sport, la Langue des Signes est toujours là
! Elle ne disparaît pas et le lien entre les deux : sport et Langue
des Signes est évident !
Je vous remercie pour votre attention et remercie encore le comité
de la Maison des Sourds de m’avoir invité !
Merci
